4 févr. 2010

Peut-on apprendre à écrire ?


Dans un livre récent, « Idéalisme français, pragmatisme américain : une nécessaire union », l’essayiste Edouard Valdman compare nos deux pays en mettant l’accent sur la relation à l’utopie et l’absolu d’un côté, et le pragmatisme né de la Réforme protestante et du puritanisme de l’autre. Cette différence, l’opposition atelier d’écriture dans sa version française et creative writing (écriture créative) à l’américaine en est une illustration. Nés à la fin du 19e siècle, trouvant leurs origines dans les clubs de conteurs et de lecture, les ateliers de creative writing sont issus de la tradition orale. Depuis les années 30, ils font partie intégrante, dans une perspective professionnelle, de tous les cursus universitaires, les meilleurs écrivains y enseignent et la sélection y est rigoureuse. L’éventail est vaste : roman policier ou nouvelle, science-fiction ou poésie, essai ou scénarios de télévision…
Formatage regrettent certains. Tous les auteurs ne vont-ils écrire de la même manière ? Comment peut-on apprendre à être écrivain ?
Et si l’on envisageait le problème autrement ? Les éditeurs le savent, on a toujours besoin de polygraphes, capables de rédiger selon des styles différents. Il ne s’agit pas forcément de littérature mais d’écriture. Inventive, pertinente, agréable, travaillée, concise ou déliée… Une écriture qui peut faire rêver ou comprendre des données complexes. Qui convient à des guides de voyage ou à des livres documentaires, à des récits historiques ou des catalogues de musées.
C’est aussi à cela que forme les creative writing, trouver un style, travailler la structure de la phrase, savoir construire des chapitres ou des dossiers de presse, capter et relancer l’intérêt du lecteur.
Cette conception américaine s’étend au monde anglo-saxon et aux pays à majorité protestante. Car en Allemagne aussi l’écriture est un métier, et à ce titre rémunérée. Ainsi les romanciers y sont payés pour lire des extraits de leurs livres, devant un public nombreux. Alors qu’en France, il n’est pas rare pour un auteur de s’entendre dire par un éditeur : « Mais vous, vous êtes un artiste ! ». Faut-il comprendre « au-dessus des contingences matérielles » ? Rappelons au passage que tous ceux qui travaillent à l’édition d’un livre, du comptable à l’attaché de presse, en vivent, à l’exception de son auteur.
En Suisse, à Bienne, les apprentis écrivains francophones ou germanophones peuvent se former, en trois ans, au bachelor en écriture littéraire grâce à l’Institut littéraire suisse, qui possède le statut de Haute école d’art fédérale. Controversé, cet institut aurait divisé la communauté littéraire. Sa partie alémanique y serait plus favorable et il semble que les tenants de la pure inspiration et du génie seraient plus représentés dans la Suisse romande.
En Grande-Bretagne, l’écriture s’enseigne également dans la majorité des universités, soit de manière assez technique, soit sous un angle plus expérimental. Et comme aux USA, ces cours, souvent prestigieux, cherchent à attirer les meilleurs écrivains et donnent une nouvelle aura aux départements de lettres. Le milieu universitaire français, longtemps réfractaire à l’idée d’un enseignement de l’écriture connaîtrait toutefois une lente évolution, mais les cursus sont destinés à former des animateurs d’ateliers plus que des praticiens de l’écriture.
Alors qu’ici les ateliers d’écriture se sont multipliés en marge des universités depuis que des pionniers, Elisabeth Bing et Alain André avec Aleph, ont créé les premiers dans les années 80. Qu’ils soient à vocation sociale — dans les écoles, les prisons — ou d’épanouissement personnel, il s’agit d’espaces où l’on se retrouve autour de propositions d’écriture. Des « déclencheurs » — premières phrases de romans, inventaires ou listes — qui permettent de découvrir ou d’ouvrir imaginaire et émotion sans autre ambition que de se faire plaisir, sans crainte de la page blanche. « Les gens sont fascinés par les listes, on n’imagine jamais pouvoir en faire un objet littéraire » s’exclame Anne Simonet, créatrice de merveilleux ateliers dans des lieux les plus inattendus (en haut d’un arbre, au bord d’un lavoir… ). Des lieux où l’on peut s’offrir un temps à soi, le partager avec les autres, dans le pur bonheur de l’invention avec les mots.
Dans ces ateliers, on ne rêve pas d’être écrivain, pourtant ces pratiques suscitent aussi la suspicion. Comme si l’écriture, contrairement à tous les autres arts, musique, théâtre, peinture ou danse, ne pouvait aussi se pratiquer en amateur. Décidément, écrire possède ici un statut à part. Est-ce une longue tradition qui la sacralise ? L’acte créateur serait-il réservé à une poignée d’élus ? Il ne pourrait faire l’objet d’un travail, d’un apprentissage, de méthodes fussent-elle en prise avec l’imaginaire. « En France, domine une conception romantique de l'écrivain inspiré. » constate Guy Walter, le directeur de la Villa Gillet de Lyon qui tente d’expérimenter des ateliers d’écriture pour lycéens ainsi qu’avec l’université de Lyon II et avec l’Ecole normale supérieure. Alors que les Etats-Unis possèdent, eux une tradition, liée tout autant à leur histoire qu’à leur immense espace, dans laquelle s’est créée une écriture narrative et populaire. Et si nous pouvions adapter ces techniques et ce pragmatisme tout en protégeant les spécificités de la création à la française ?

Cécile Mozziconacci

Regarde-venir, un temps pour écrire. Ateliers d’écriture situés à La Garde-Adhémar, en Drôme provençale, animés par Anne Simonet-Avril, formée par Aleph. Plus d’information sur http://ateliers-regarde-venir.blogspot.com et tél. 04 75 04 44 50.

Les Ateliers d’écriture Aleph. Aleph Ile-de-France : 7, rue Saint-Jacques, 75005 Paris, information : Laurence Soubrick au 01 46 34 24 27. Aleph Rhône-Alpes : 12 bis, rue Aimé-Collomb (angle rue Mortier), 69003 Lyon, information : Sylvie Foizon-Galand : 04 78 71 01 04. Plus de renseignement sur : www.aleph-ecriture.fr

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